L’avocat de Tristane BANON a indiqué, à l’annonce du classement sans suite, qu’il allait déposer une plainte avec constitution de partie civile afin de voir désigner un magistrat instructeur.
Qu’est ce donc que cette chose qui permettrait à Madame BANON de passer outre le classement sans suite du Ministère Public ?
L’action civile de la victime devant le juge pénal ne saurait se substituer à l’action publique du ministère public.
Néanmoins, la Loi permet à la victime d’une infraction, en cas de classement sans suite, de solliciter du doyen des juges d’instruction (qui parfois n’est pas le plus vieux, contrairement à ce qu’on pourrait croire), par le biais d’une plainte, l’ouverture d’une information judiciaire destinée à démontrer la commission de l’infraction et aboutir à une sanction contre l’auteur.
Initialement, cette plainte avec constitution de partie civile, était ouverte à la victime concurremment à sa capacité à déposer une plainte « normale » (au commissariat ou à la gendarmerie, à condition qu’ils acceptent de l’enregistrer).
Des réformes récentes ont subordonné cette plainte avec constitution de partie civile à une décision de classement sans suite par le Ministère public, prononcée après une première plainte classique.
Cette plainte avec constitution de partie civile a pour résultat de mettre en mouvement l’action publique par la saisine d’un juge d’instruction, au même titre que si le Ministère Public l’avait sollicitée lui même.
Il s’agit de l’action civile par voie d’action, totalement différente dans son principe et sa nature de l’action par voie d’intervention, qui laisse au Ministère Public sa liberté dans la mise en mouvement de l’action publique et ne vise qu’à permettre à la victime d’être indemnisée de son préjudice résultant de l’infraction.
Dans l’action, la « victime » se substitue donc au Ministère Public pour que des poursuites soient engagées afin d’aboutir à une sanction au nom de la Société, ce qui constitue un dévoiement de la vocation initiale de l’action civile, purement indemnitaire.
Au delà de tout jugement sur les choix procéduraux de Tristane BANON à laquelle on ne saurait reprocher d’user des voies de droit que la Loi lui ouvre, il s’agit là d’une dérive schizophrénique de la procédure pénale qui considère désormais sa mission comme englobant une certaine vengeance privée qui ne peut que nuire à son image de sérénité.
Cela étant, la plainte avec constitution de partie civile demeure conditionnée d’une part au classement sans suite d’une plainte préalable (ou défaut de réponse du Ministère Public dans les trois mois, ce qui est fréquent pour les individus normaux qui ne sont pas suivis par BFM TV quand ils vont au commissariat) mais également au versement d’une somme d’argent : la consignation.
Ce n’est qu’à ces deux conditions que la plainte sera considérée comme recevable et entraînera la désignation d’un juge d’instruction.
Dès lors, et sans prétendre être Madame IRMA, je peux d’ores et déjà esquisser les suites possibles de l’affaire.
Excluons tout d’abord le cas où Tristane BANON ne dépose pas de plainte avec constitution de partie civile ou ne procède pas à la consignation obligatoire (vu la crise économique et les mesures de rigueur annoncées par le gouvernement, il n’est pas exclu que son livre se vende peu…).
Dans ces deux hypothèses, l’affaire restera au point mort.
Partons du principe que Tristane BANON régularise sa plainte avec constitution de partie civile et qu’elle procède à la consignation fixée dans le délai imparti.
Nous allons envisager alors le chemin qui pourrait conduire à la condamnation de Dominique Strauss Kahn.
En premier lieu, dès lors que la plainte avec constitution de partie civile est recevable, un juge d’instruction est commis pour instruire l’affaire à charge et à décharge.
Il lui appartient dès lors de mener l’enquête et de faire réaliser toutes les investigations qu’il juge utiles par les services de police ou de gendarmerie.
Il est également seul compétent pour décider de la mise en examen de DSK mais en aucun cas il ne peut prononcer son incarcération (ce pouvoir appartenant au Juge des Libertés et de la Détention).
Au préalable des premiers actes d’instruction, la chaîne pénale mise en place peut se briser :le juge peut rendre une ordonnance de refus d’informer.
Cela signifie, non pas qu’il ne veut pas faire son travail, mais qu’il ne lui semble pas utile d’informer sur les faits qui lui sont soumis dans le cadre de la plainte avec constitution de partie civile.
L’ordonnance de refus d’informer, spécifique aux plaintes avec constitution de partie civile, peut intervenir dans différents cas : soit en l’absence d’infraction, soit en cas d’impossibilité de poursuivre les faits dénoncés (essentiellement en cas de prescription).
Dans l’affaire qui nous occupe, et sauf à ce que les éléments exposés dans la plainte avec constitution de partie civile soient de nature à caractériser un viol, il y a des chances non négligeables que le juge d’instruction rende une ordonnance de refus d’informer pour prescription.
J’ai en effet expliqué dans un précédent article la question de la prescription en matière d’agressions sexuelles autres que le viol commises sur des personnes majeures.
Si le juge d’instruction considère qu’il y a lieu d’instruire la plainte de Tristane BANON, cela n’implique pas que DSK sera condamné.
Là encore, la chaîne peut se rompre avant qu’une condamnation n’ait été ne serais ce qu’envisagée.
Il est d’ailleurs utile de rappeler que dans la phase d’instruction, comme dans toutes les phases de la procédure pénale antérieures à l’exécution de la sanction, les personnes mises en causes ou en examen sont réputées innocentes.
Quoi qu’il en soit dans le cadre de cette affaire médiatique, si à l’issue de l’instruction, qui peut durer un certain temps selon la difficulté que revêt le dossier, le juge d’instruction à plusieurs possibilités.
Soit il rend une ordonnance de mise en accusation (si l’infraction est un viol), soit une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel (si l’infraction est une agression sexuelle non prescrite pour une raison quelconque apparue durant l’instruction). Dans ces deux hypothèses, DSK devra alors comparaître devant la juridiction de jugement compétente (Cour d’assises s’il s’agit d’un viol ou Tribunal Correctionnel s’il s’agit d’une agression sexuelle).
Néanmoins, là aussi la chaîne peut se rompre avant même qu’une juridiction ait été saisie alors que le dossier a été instruit.
C’est l’hypothèse de l’ordonnance de non lieu.
A l’issue de l’instruction, quand le juge estime avoir mis en œuvre tous les actes nécessaire à la manifestation de la vérité, il peut considérer soit que l’infraction n’est pas constituée (absence d’un élément constitutif), soit que l’identification de l’auteur est impossible, soit que les charges à l’encontre du mis en examen sont insuffisantes.
Une telle ordonnance de non lieu met fin à l’instance pénale, sauf élément nouveau dégagé par le Procureur, qui demeure une partie à la procédure malgré l’initiative de la victime dans le cadre de sa plainte.
Ainsi donc, le chemin est encore long avant qu’un Tribunal ou une Cour ait à se prononcer sur une éventuelle culpabilité de DSK (ce qui là encore n’implique pas nécessairement qu’il sera condamné).
Enfin, la question de la prescription telle qu’elle s’est posée dans le cadre de la plainte initiale et dans la décision de classement sans suite du Procureur ne sera pas purement et simplement court-circuitée par le déclenchement d’une information judiciaire
En conclusion, si un classement sans suite peut être contourné (soit par la plainte avec constitution de partie civile, soit par la citation directe), cela ne signifie pas qu’une victime puisse passer outre les décisions administratives ou judiciaires pour faire condamner celui qu’elle estime être l’auteur, même si des voies de recours existent.