2 ans avec sursis … ça reste fictif … (1/2)

Évoquée au moment de l’ouverture des débats et aujourd’hui dans la presse, la maladie dont serait atteint l’ancien Président Jacques Chirac permet de revenir sur les causes de non responsabilité en droit pénal.

La perte de mémoire, qu’elle ait une origine médicale ou d’opportunité n’est pas en elle-même une cause de non responsabilité, sauf si elle caractérise une abolition du discernement ou du contrôle des actes.

Avant d’évoquer les différentes causes de non responsabilité pénale, il faut faire un peu de maths.

L’équation pénale est la suivante :

RESPONSABILITE = CULPABILITE + IMPUTABILITE

(C’est assez simpliste comme équation, mais sinon les juristes auraient tous fait polytechnique).

Les causes de non responsabilité peuvent toucher soit le principe de la culpabilité (causes extérieures à l’agent) soit le principe de l’imputabilité (raisons tenant à la personne même de l’agent).

Les faits justificatifs (causes de non culpabilité) 

(Petit aparté : cette section ne concerne pas le cas de Monsieur CHIRAC, donc ceux qui veulent en savoir plus sur l’incidence de la maladie d’Alzheimer sur le procès pénal sont attendus dans la deuxième partie de cet article).

Un fait normalement puni par la Loi doit être considéré comme objectivement légitime, lorsqu’il apparaît comme l’exercice d’un droit ou l’accomplissement d’un devoir.

L’acte qui présente tous les caractères d’une infraction punissable cesse d’en être une de par les circonstances dans lesquelles il a été commis.

C’est ça les faits justificatifs.

Ce sont des éléments objectifs qui viennent supprimer l’élément délictueux (punissable) de l’acte accompli. Ils ne doivent pas être confondus avec des éléments subjectifs qui relèveraient de la personne de l’agent et qui seraient des causes de non imputabilité ou encore avec des causes d’exemption ou d’atténuation de la peine encourue (par exemple les « repentis » des articles 414-2 et 414-3 Code pénal).

La Loi prévoit 3 faits justificatifs et 3 seulement : la légitime défense (article 122-5 et 122-6 du Code pénal), l’ordre de la loi ou le commandement de l’autorité légitime, sauf si l’acte commandé est manifestement illégal (article 122-4 du Code pénal) et l’état de nécessité (article 122-7 du Code pénal).

(NB : je ne polémiquerai pas sur les querelles doctrinales relatives au consentement de la victime comme cause d’irresponsabilité pénale. Aujourd’hui la Loi ne prévoit que 3 causes. Basta. Laissons les universitaires s’engueuler et débattre).

A) La légitime défense

Tout le monde a un avis sur la légitime défense. Les films et séries en font régulièrement l’évocation, avec bien souvent une pertinence juridique proche du néant.

L’article 122-5 du Code pénal prévoit :

«  N’est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d’elle-même ou d’autrui, sauf s’il y a disproportion manifeste entre les moyens de défense employés et la gravité de l’atteinte.

N’est pas pénalement responsable la personne qui, pour interrompre l’exécution d’un crime ou d’un délit contre un bien, accomplit un acte de défense, autre qu’un homicide volontaire, lorsque cet acte est strictement nécessaire au but poursuivi, dès lors que les moyens employés sont proportionnés à la gravité de l’infraction ».

VOILA, la légitime défense, c’est tout çà, mais rien que çà.

En effet, il s’agit déjà d’une exception au principe selon lequel on ne peut pas se faire justice soi même, il ne faudrait pas non plus que la Loi autorise à faire n’importe quoi contre n’importe qui, n’importe quand sous prétexte qu’un jour on nous aurait fait quelque chose…

Cette cause de non culpabilité ne vise qu’à permettre à la personne de « remplacer » la police en cas d’urgence absolue (parce que cette dernière n’est toujours pas arrivée et que ça commence franchement à craindre par exemple…).

1) Domaine d’application

La légitime défense requiert de celui qui s’en prévaut la confrontation à « une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui ».

L’atteinte en question vise, à l’évidence toutes les agressions contre la vie ou l’intégrité corporelle (homicides et violences volontaires) mais aussi les agressions sexuelles (viol par exemple), voire les atteintes à l’honneur ou à la considération d’une personne (la légitime défense a été admise en matière de diffamation par le Tribunal Correctionnel de Paris en 1971).

La légitime défense concerne également les atteintes aux biens.

Ainsi, l’article 122-6 du Code pénal accorde une présomption de légitime défense a celui qui « se défend contre les auteurs de vols ou pillages exécutés avec violence ».

Cependant, une atteinte aux biens ne saurait justifier l’homicide involontaire de l’agresseur : les moyens employés doivent être proportionnés à la gravité de l’infraction.

Ce n’est pas le cas, par exemple quand une personne en frappe une autre parce qu’elle avait donné un coup de pied dans la carrosserie de son véhicule (on s’en serait douté mais comme ça a été tenté, la Cour d’appel de Toulouse a du le préciser).

En matière de légitime défense des biens, la question des pièges contre les personnes se pose (les fameux « attention villa piégée). En principe, de tels procédés ne sont pas admis. Pour autant, les juridictions sont assez divisées sur la prise en compte de la légitime défense dans de telles hypothèses. C’est donc aux risques et périls non seulement de l’auteur mais également du piégeur…

A ce stade, un petit rappel de procédure pénale s’impose : contrairement à beaucoup d’idées reçues, les policiers n’ont pas le monopole des arrestations.

L’article 73 du Code de procédure pénale prévoit que toute personne qui est confrontée à une infraction a le droit de procéder à l’arrestation du voleur.

Ainsi, si vous surprenez une personne en train de fracturer votre voiture, vous pouvez l’arrêter. Par contre, vous ne pouvez pas l’abattre, sauf si son attitude est telle que vous pouvez croire que votre vie ou votre intégrité corporelle est menacée.

2) Conditions

  • L’attaque qui provoque la riposte doit être actuelle et imminente : il n’est pas question de se venger 3 heures après ou de riposter sur la base d’une simple menace ou lorsqu’il est possible de faire appel à la police pour faire cesser le danger.

Se pose pourtant la question de l’imagination de la victime, qui peut être confrontée à ce quelle pense une menace d’une extrême gravité, alors même que la réalité pourrait être tout autre.

Cela a été envisagé dans les cas de braquages avec des armes factices (pistolet à eau par exemple).

L’article 132-75 du Code pénal résout la question en disposant qu’ « est assimilé à une arme tout objet qui, présentant avec l’arme définie au premier alinéa (= tout objet conçu pour tuer ou blesser) une ressemblance de nature à créer une confusion, est utilisée pour tuer ou menacer de blesser ».

  • L’attaque doit être injuste : il n’y a pas de légitime défense contre celui qui ne fait qu’exercer un droit.

La légitime défense ne peut excuser la résistance opposée à un policier qui procède à une arrestation.

La Cour de Cassation considère en effet depuis 1975 que le délit de rébellion ne saurait être excusé à raison de la prétendue illégalité de l’acte accompli par l’agent.

Les policiers bénéficient d’ailleurs d’une présomption de légalité des mesures qu’ils mettent en œuvre.

La légitime défense opposée à un agent de police ne peut être envisagée que lorsque l’agent a accompli une action que la loi interdit de manière absolue et évidente, ainsi dans le cas de violences « gratuites ».

  • La riposte doit être nécessaire : s’il existe d’autres solutions pour se défendre que la riposte, elles doivent être choisies (notamment la fuite).
  • La riposte doit être proportionnée à l’attaque : des coups de bâtons donnés en riposte à un jet de gaz lacrymogène ont été jugés comme disproportionnés compte tenu de la gravité des blessures de la victime. Pour autant, un léger coup de pied dans la jambe d’une élève qui insultait et jetait son cartable dans la direction de son professeur a été considéré comme proportionné.
  • La riposte doit être concomitante à l’attaque : la légitime défense ne consacre pas de droit à la vengeance.

3) Présomption de légitime défense

Le principe en matière de légitime défense veut qu’il appartienne à celui qui l’invoque de la prouver.

La loi prévoit néanmoins deux exceptions, énoncées à l’article 122-6 du Code pénal :

« Est présumé agir en état de légitime défense celui qui accomplit l’acte :

1° Pour repousser, de nuit, l’entrée par effraction, violence ou ruse dans un lieu habité.

2° Pour se défendre contre les auteurs de vols ou de pillages exécutés avec violence ».

B) L’ordre de la Loi et le commandement de l’autorité légitime

Article 122-4 du Code pénal :

«  N’est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte prescrit ou autorisé par des dispositions législatives ou réglementaires.

N’est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte commandé par l’autorité légitime, sauf si cet acte est manifestement illégal ».

1) Domaine d’application

Cette cause de non responsabilité s’applique à toutes les infractions, sans distinction.

2) Conditions

  • L’ordre de la Loi

Cet ordre consiste soit dans la permission expresse, soit tacite.

Un Officier de Police Judiciaire qui place une personne en garde à vue ne commet pas de séquestration arbitraire.

L’acte autorisé peut résulter on l’a dit, de dispositions réglementaires ou législatives.

Il peut aussi résulter de la coutume :

– ainsi, en matière de sports violents, les auteurs de blessures échappent à la sanction pénale à condition que les blessures aient été administrées dans le respect des règles du sport considéré.

– de la même manière, les atteintes volontaires à l’intégrité physique commises par les médecins sur leurs patients à des fins curatives échappent là encore à la sanction.

Néanmoins, les autorisations administratives ou la simple tolérance de l’Administration (notamment en matière de constructions illégales) ne constituent pas des faits justificatifs.

  • Le commandement de l’autorité légitime

L’ordre doit émaner d’une autorité légitime, c’est-à-dire d’une autorité publique.

N’entre pas dans les prévisions du texte l’autorité privée telle l’employeur sur son salarié, les parents sur leurs enfants etc…

L’ordre ne doit pas être manifestement illégal. La question est ici beaucoup plus complexe.

Il s’agit en effet pour le subordonné d’apprécier l’illégalité de l’ordre reçu mais également d’avoir en considération que le refus d’obéissance, lorsqu’il n’est pas fondé peut entraîner des sanctions disciplinaires ou pénales.

C) L’état de nécessité

Cette cause de non responsabilité pénale est relativement célèbre en droit pénal notamment pour le cas de cette mère, poursuivie pour vol de nourriture, qui avait soutenu avoir commis l’acte pour éviter que son enfant ne meure de faim.

L’article 122-7 du Code pénal prévoit que :

« N’est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s’il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace ».

L’état de nécessité est la situation où une personne commet volontairement une infraction afin d’éviter pour elle-même ou pour autrui un péril actuel ou imminent.

1) conditions requises

Le danger doit être actuel ou imminent. Ainsi et pour poursuivre l’exemple de la mère indigente, l’état de nécessité à été exclu dans le cas où le vol de nourriture avait été commis pour améliorer l’ordinaire des enfants qui n’étaient pas menacés par la faim.

Par ailleurs, il faut que l’acte accompli soit nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien.

Ne pourra être pris en compte le malaise d’une conductrice d’un véhicule pour justifier l’infraction de conduite sans permis commise par le passager de ce véhicule dès lors qu’il existait d’autres solutions pour gagner l’hôpital.

Il faut en outre que les moyens employés soient proportionnés à la gravité de la menace et que le mal écarté soit grave, plus grave que celui qui résulte de l’infraction commise.

A ainsi échappé à une sanction pénale le paraplégique qui, pour soulager ses souffrances permanentes, détenait des plants de cannabis pour la consommation de tisanes nécessaires à la sauvegarde de sa santé.

2) Effets

L’état de nécessité exonère l’auteur de l’infraction de toute responsabilité pénale, alors même que l’acte justifié à causé un préjudice à une victime.

Ainsi, l’exonération n’est que pénale et l’auteur demeure responsable, au plan civil, même si le fondement de cette responsabilité civile demeure sujet à discussions.