L’objet de l’action de la police judiciaire est le recueil d’indices destinés à la manifestation de la vérité. Le point cardinal de ce travail relève de la théorie de la preuve, qui s’articule autour de deux questions principales : la charge de la preuve (qui doit prouver) et les moyens de preuve (comment prouver).
Cette théorie de la preuve présente une certaine unité de la constatation de l’infraction jusqu’à l’éventuelle condamnation. Néanmoins, elle procéde par gradation compte tenu du principe de la présomption d’innocence.
Ainsi au stade de l’enquête (police ou gendarmerie), on parle d’indices et non de preuves.
Par la suite, une fois les poursuites enclenchées, on tente de voir si les indices recueillis constituent des charges suffisantes pour renvoyer une personne devant une juridiction de jugement.
Enfin, la preuve, démonstration d’une culpabilité ou d’une non culpabilité, n’intervient qu’au niveau de la juridiction de jugement qui est seule compétente pour se prononcer sur cette culpabilité.
La charge de la preuve
La charge de la preuve appartient à la partie poursuivante (le Ministère Public) et ce en raison de la présomption d’innocence.
Néanmoins, cette charge de la preuve ne doit pas empêcher une personne d’apporter la preuve de son innocence, quand bien même cette dernière est présumée.
S’il appartient en effet au Ministère Public de prouver l’élément matériel et moral dans le cadre d’une infraction punissable (on parle de Loi d’incrimination), ceci ne doit jamais dispenser de la preuve inverse.
Dans le cadre de la preuve de l’élément matériel, doit être prouvé : une action ou omission et l’imputation du fait à telle personne.
En ce qui concerne l’élément moral, il convient de démontrer l’existence d’un dol général (= volonté de l’action, du comportement) et d’un dol spécial (= volonté du résultat ou connaissance d’une situation préalable dans les infractions d’omissions).
Tout le travail des enquêteurs, sous la direction du Ministère Public, va être de recueillir suffisament d’indices de nature à établir l’élément matériel et moral.
Celà étant et comme bien souvent en droit, il existe deux exceptions ou la charge de la preuve est renversée :
La première tient de l’application d’un principe de droit qui veut que dès lors que le défendeur invoque un élément, il devient demandeur et doit donc prouver son allégation. C’est le cas de la légitime défense par exemple.
La seconde exception tient aux présomptions notamment dans les cas où il serait trop difficile voire impossible pour la partie poursuivante d’apporter la preuve.
Les présomptions sont de deux ordres :
- Présomptions de droit : la Loi prévoit parfois que l’élément matériel ou moral d’une infraction particulière sera présumé sur le fondement de l’existence d’un ou plusieurs indices. C’est le cas par exemple en droit douanier, ou en cas de non justification de ressources en cas d’infraction fiscale soupconnée.
- Présomptions de fait : à partir d’un ensemble d’indices relevés, la preuve de l’élément intentionnel sera considérée comme rapportée. L’exemple le plus facile à retenir est celui de l’intention de tuer. Cet élément intentionnel est quasi impossible à établir en l’absence d’aveux, en conséquence une présomption de fait permet de l’établir. Cette présomption repose sur le fait que l’individu ne pouvait pas avoir d’autre intention que de tuer quand il a agit, notamment en fonction de la nature des coups portés, leur direction, leur nombre ainsi que les parties du corps visées.
Les moyens de preuve
En droit pénal, la preuve est en théorie libre. Ce principe de liberté de la preuve doit néanmoins être nuancé : il ne s’agit que d’une liberté dans la production de la preuve (= par quoi je prouve) et pas dans l’administration de la preuve (= comment j’obtiens la preuve).
L’article 427 du Code de procédure pénale l’énonce clairement en prévoyant que « hors les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve et le juge décide d’après son intime conviction.
Le juge ne peut fonder sa décision que sur des preuves qui lui sont apportées au cours des débats et contradictoirement discutées devant lui ».
Le principe de l’intime conviction ne fait pour autant pas échec à la motivation de la décision, c’est à dire à l’explication par le juge (ou la Cour depuis l’introduction d’une obligation de motivation des arrêts rendus par les Cour d’assises) du cheminement par lequel il est parvenu à son intime conviction.
La preuve doit par ailleurs être administrée de manière légale. C’est le deuxième alinéa de l’article 427 qui le prévoit.
Cette légalité est de deux ordres :
- une légalité matérielle : respect du principe de loyauté dans la recherche des preuves mais également respect de l’intégrité physique ou psychique de l’intéressé. Les agents et officiers de police judiciaire ne peuvent recueillir d’indices en dehors de ces deux principes. Le particulier peut lui s’affranchir de l’obligation de loyauté (mais pas de respect de l’intégrité physique ou psychique).
- Une légalité formelle : la loi a prévu un certain nombre d’actes d’administration de la preuve que les agents et officiers de police judiciaire doivent exécuter pour rapporter valablement une preuve. Ces actes sont :
- le constat (= la perception de l’infraction)
- les constatations (= ensemble d’opérations, notamment de police technique et scientifique qui va permettre le recueil d’indices)
- les perquisitions, fouilles et saisies
- les réquisitions judiciaires
- les écoutes et interceptions de correspondances
- la garde à vue
- les sonorisations (y compris la vidéo surveillance)
- les infiltrations.
Ces actes ne sont pas tous de même gravité au regard de libertés individuelles et certains d’entre eux (sonorisations ou encore écoutes) ne peuvent être ordonnées que par un juge d’instruction.
Ainsi par exemple pour les textos envoyés par DSK au mis en examen dans le cadre du CARLTON (décidémment DSK est une vraie mine d’illustrations de la procédure pénale) : l’acte d’administration étant prévu par la Loi, ses sms constituent un moyen de preuve recevable.
Dans le cadre de l’administration de la preuve, la police judiciaire ne peut créer d’acte d’administration non prévu par la loi.
A défaut, une preuve qui serait rapportée illégalement serait écartée des débats et pourrait faire l’objet d’une requête en annulation.
Ainsi, la provocation à la commission d’une infraction par les services de police constitue un moyen de preuve illégal et ne peut être retenu dès lors que le fonctionnaire de police a déterminé l’interessé à la commission de l’infraction (Cass. Crim, 2/03/1972, bull. Crim. N°71; Cass. Crim. 11/05/2006, Bull. Crim. N°132).
En espérant que cet article vous aura permis de comprendre que le régime de la preuve en droit pénal français n’a rien à voir avec les films ou l’on peut dégainer des preuves comme un magicien sort un lapin de son chapeau.