Je souhaite, à l’occasion de cet exemple d’actualité largement relayé, revenir sur deux thèmes essentiels en procédure pénale qui vous permettront accessoirement de briller dans les diners mondains.
Je suis d’ores et déjà au regret de vous annoncer que cet article sera scindé à raison de sa trop grande taille. Dont acte.
Distinction action publique/action civile.
Une infraction est commise.
Au bout de la chaîne pénale, bien après la commission de l’infraction, il y aura peut être une sanction.
Mais entre temps, la chaîne pourra se rompre à tout moment.
Comprendre le cheminement de l’instance pénale, c’est comprendre pourquoi, parfois, une infraction commise n’entraînera pas de sanction.
Je ferai un article plus tard sur les causes d’irresponsabilité ou d’exonération de responsabilité pénale qui sont également des causes d’absence de sanction.
Pour l’instant contentons nous de la base, c’est à dire la procédure pénale.
Une infraction concerne nécessairement deux entités: la Société (dans le même sens que le peuple souverain de la définition du mot démocratie) et la victime .
La Société est une et indivisible, elle n’a pas de matérialisation.
La notion de victime, au contraire, peut être plurale, physique (sans aucun jeu de mot douteux sur l’affaire en question) ou morale (s’il s’agit d’une association ou d’une entreprise).
De cette distinction entre « Société » et victime naît la schizophrénie de la procédure pénale. J’y reviendrai.
La Société est seule habilitée à exercer l’action publique par le biais du Ministère Public (Procureur de la République entre autres).
La Victime est seule habilitée à exercer l’action civile.
Ces deux actions ne différent pas que par leur nom.
L’action publique a pour objet exclusif l’application de la loi pénale pouvant aboutir au prononcé d’une sanction.
L’action civile elle, vise uniquement la réparation du dommage personnel directement causé par l’infraction. Il s’agit donc d’une action indemnitaire visant à obtenir des dommages intérêts.
Sur ce point, une précision s’impose. Cette présentation de l’action civile est uniquement issue du droit et n’a pas vocation à nier l’impact et l’importance psychologique que peut avoir la place accordée à la victime dans l’instance pénale engagée contre l’auteur de l’infraction.
Ainsi donc, au plan strictement juridique, une seule procédure, mais deux action parallèles (et parfois concurrentes) : action civile et action publique.
La victime a un choix que le Ministère Public n’a pas : elle peut engager son action en réparation devant le juge pénal (en déposant plainte ou par le biais de la citation directe) ou devant le juge civil (par la voie classique de l’assignation).
Une fois ce choix fait, il est irrévocable.
Dès lors qu’elle a choisi une instance civile (Tribunal de Grande Instance par exemple), la « victime » ne peut plus agir devant le juge pénal (Cour d’Assises, Tribunal correctionnel etc), sauf si des poursuites sont engagées par le Ministère Public ou si aucun jugement au fond n’a été rendu devant le Tribunal civil.
Le principe d’opportunité des poursuites.
L’instance pénale, je l’ai précisé, suppose une infraction pour se mettre en marche.
Le Ministère Public a l’opportunité des poursuites.
Soit il décide de poursuivre, soit il décide de classer sans suite.
Il peut également opter pour une « troisième voie », c’est à dire les procédure alternatives aux poursuites (rappel à la loi, composition pénale par exemple).
Le classement sans suite est un acte purement administratif, qui n’est pas susceptible de recours (on ne peut pas le contester). Il est néanmoins possible que le Ministère Public revienne sur sa décision sans qu’il soit en théorie nécessaire que des éléments nouveaux apparaissent (bien qu’en pratique ce soit souvent le cas).
Une réouverture suite à une classement sans suite ne peut se faire que dans les limites de la prescription de l’action publique, c’est à dire le temps durant lequel les poursuites peuvent être engagées (voir plus loin).
Le classement sans suite peut être fondé sur plusieurs éléments :
- des éléments de faits, suivant les infractions : le dommage a déjà été réparé, le trouble causé à l’ordre public était peu important, l’infraction commise peu grave. L’opportunité des poursuites du Ministère Public joue vraiment pour les éléments de faits : le Ministère Public peut poursuivre, mais ne le veut pas.
- Des éléments de droit : absence d’infraction, extinction de l’action publique.
L’absence d’infraction sous entend que les faits reprochés n’en constituent pas une. Soit qu’il s’agisse d’une faute purement civile totalement étrangère au droit pénal (l’adultère par exemple) soit que les éléments constitutifs de l’infraction au sens légal ne soient pas remplis.
Les éléments constitutifs d’une infractions sont généralement classés suivant deux ordres : éléments matériels (les actes, leurs conséquences matérielles) et éléments intentionnels (volonté de l’acte et suivant les cas du résultat).
La prescription de l’action publique est la suivante, sous réserve d’exceptions relatives à des infractions spécifiques :
- contravention ( infraction punie d’une peine d’amende d’un maximum de 1500 €) : un an
- délit (infraction punie d’une peine d’emprisonnement inférieure à 10 ans) : 3 ans
- crime (infraction punie d’une peine d’emprisonnement supérieure à 10 ans) : 10 ans
Le délai de prescription, pour être acquis et causer l’extinction de l’action publique, ne doit pas avoir été interrompu (par des auditions, confrontations etc …).
Si le délai est interrompu, il recommence à courir pour la même durée jusqu’à ce que la prescription soit acquise ou à nouveau interrompue.
Application à l’affaire
A l’occasion de l’affaire du SOFITEL de New York qui tend à révéler des comportements répréhensibles à l’encontre de DSK, Tristane BANON décide de révéler, par le biais d’une plainte, une tentative de viol dont elle aurait été victime en 2003.
Une enquête préliminaire est ouverte et les policiers découvrent que les faits seraient constitutifs d’une agression sexuelle, faits qui semblent plus ou moins reconnus par DSK lors de la confrontation.
L’infraction semble donc constituée.
Alors comment diable y a-t-il pu avoir un classement sans suite ?
Élémentaire mon cher Code pénal ! L’infraction d’agression sexuelle est un délit. Il se prescrit donc par 3 ans.
L’agression sexuelle se définit comme toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte menace ou surprise.
Le viol lui, visé dans la plainte initiale, est un crime et se prescrit par 10 ans.
Le Code pénal définit le viol comme tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise.
Seulement l’enquête n’a pas réussi à démontrer la commission d’une tentative de viol, c’est à dire d’une tentative de pénétration sexuelle (sanctionnée comme le crime lui même soit dit en passant).
La seule infraction constituée est celle que DSK aurait reconnue: avoir tenté de l’embrasser.
Il s’agit d’une agression sexuelle autre que le viol et donc prescrite, car commise en 2003, sans qu’aucun acte interruptif de prescription de soit intervenu entre sa commission et la plainte.
Cette affaire est donc une parfaite illustration de l’application du principe d’opportunité des poursuites par le Ministère Public qui a classé sans suite à raison de l’extinction de l’action publique.
Que va-t-il se passer maintenant ? DSK peut-il tout de même être condamné ? A suivre …